Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/278

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du beau que Dieu mit en moi et que toute ma vie fut employée à éclairer, à développer, à magnifier enfin. Si je ne mets pas au jour, par le moyen de l’art, une figure différente de celle que j’eusse pu produire plus simplement, en m’accouplant avec une maritorne, je ne vois pas la raison de me priver du farniente ou des plaisirs d’un viveur. J’espère donc vous faire voir un être doué de toutes les qualités nécessaires à la viabilité, mais qui se hausse au-dessus de la conception de beauté que vous vous faites communément.

— Diable !

— Je veux un héros.

— Ça n’est pas original.

— Dites plutôt que l’on a rendu banale la figure du héros en n’incarnant sous cette dénomination que le type soumis jusqu’à l’abnégation de sa personne aux conditions tragiques que nous imposent la nature et la société, les deux marâtres. Vous glorifiez sans lassitude le soldat et l’amant. Laissons le soldat, pour ne pas froisser votre susceptibilité de Français ; vous êtes une nation condamnée à être militaire ou à n’être pas, et il serait malséant à moi de vous attaquer sur ce triste point. Mais l’exaltation perpétuelle de l’amant est une honte pour une littérature. Je sais bien que jamais vous n’obtiendrez que l’humanité se défasse d’une forte et secrète complaisance envers toutes les choses de l’amour. Elle sera donc également indulgente aux acteurs de l’amour quels qu’ils soient. Il n’en est pas moins vrai que l’artiste, le poète dont la mission est de donner des exemples de beauté, rien que de beauté, devra s’abstenir de nous exhiber le spectacle de la passion amoureuse, c’est-à-dire le cas où l’homme se ravale à plaisir au niveau de la bête, devient inintelligent, obtus, fermé à l’univers entier, prêt à toutes les bassesses, à toutes les trahisons, aux crimes les plus dégra-