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NIORT-CAEN

Geneviève ne répondait pas. La tante hésita, fut plusieurs fois sur le point de prononcer un mot qui n’en finissait point de sortir. Elle lui dit tout à coup :

— Mais tu y penses donc ?

Geneviève eut un petit tremblement des paupières. Une de ses mains, sans qu’elle y prît garde, tordait en bouchon la partie retombante de la nappe, et des plis concentriques se formaient sur la table, jusqu’au dessous de plat.

— Prends garde, dit Mlle Cloque, tu vas renverser la carafe…

Geneviève passa la main sur la table pour aplanir la nappe ainsi soulevée. Elle dit en ayant l’air de rire :

— Crois-tu ? j’ai encore des manies de pension : je m’amusais à faire comme ça pendant qu’on mangeait des lentilles.

Et la question en resta sur ce détour qui voilait trop mal un terrible aveu. Chacune de leur côté, les deux malheureuses tremblaient, Geneviève épuisée du poids de son secret, prête à se rendre, secouée de l’ivresse de crier sa douleur ; sa tante éperdue, affolée, terrorisée, par-dessus toutes les misères de cette journée néfaste, de découvrir l’horrible mal qui rongeait le cœur de la jeune fille. Mlle Cloque, levant les yeux — qui voyaient clair tout de même quand elle le voulait absolument, — surprit une larme qui coulait sur la joue de Geneviève tandis que ses lèvres se con-