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CHAPITRE XI


I


THÉORIE DE LA FICTION. — FORMES DIVERSES DU MENSONGE


Menacé de prise de corps, Rousseau est obligé à Dijon de donner son nom. Il songe d’abord à se couvrir de celui de sa mère ; il lui fut impossible d’en venir à bout. « Le nom de Rousseau fut le seul que je pus écrire » et toute la falsification consista à supprimer un des deux J du prénom. Cet homme, qui dans une circonstance critique se révolte contre l’idée d’une dissimulation mensongère, n’a-t-il jamais menti ? Nous avons parlé de sa sincérité ; de quelle manière est-il sincère et dans quelle mesure ? Lui-même s’est expliqué sur le mensonge dans la 4e Promenade. — L’abbé Royou lui a envoyé un de ses journaux avec cette suscription : Vero vitam impendenti. Le sarcasme était-il mérité ? La première idée de Jean-Jacques commençant à se recueillir est celle du mensonge « criminel » qui attriste encore sa vieillesse. Les regrets inextinguibles de ce malheureux acte lui ont inspiré pour le mensonge « une horreur qui a dû » le préserver de ce vice pour toujours. Cependant, en s’épluchant, il est surpris du nombre de choses de son invention qu’il a dites comme vraies dans le temps même où il sacrifiait tout à son amour de la vérité, et il est encore plus surpris de n’éprouver aucun vrai repentir de ces choses controuvées, lui qui braverait « les supplices s’il les fallait éviter par un mensonge », D’où provient cette « bizarre inconséquence » ?

Il s’en donne la raison : « Mentir sans profit ni préjudice (le soi ni d’autrui, ce n’est pas mensonge, c’est fiction [I] ». L’homme vrai de Jean-Jacques, sans manquer à la sainte vérité