Menacé de prise de corps, Rousseau est obligé à Dijon de
donner son nom. Il songe d’abord à se couvrir de celui de sa
mère ; il lui fut impossible d’en venir à bout. « Le nom de
Rousseau fut le seul que je pus écrire » et toute la falsification
consista à supprimer un des deux J du prénom. Cet homme,
qui dans une circonstance critique se révolte contre l’idée d’une
dissimulation mensongère, n’a-t-il jamais menti ? Nous avons
parlé de sa sincérité ; de quelle manière est-il sincère et dans
quelle mesure ? Lui-même s’est expliqué sur le mensonge dans la
4e Promenade. — L’abbé Royou lui a envoyé un de ses journaux
avec cette suscription : Vero vitam impendenti. Le sarcasme
était-il mérité ? La première idée de Jean-Jacques commençant
à se recueillir est celle du mensonge « criminel » qui attriste
encore sa vieillesse. Les regrets inextinguibles de ce malheureux
acte lui ont inspiré pour le mensonge « une horreur qui a dû »
le préserver de ce vice pour toujours. Cependant, en s’épluchant,
il est surpris du nombre de choses de son invention qu’il a dites
comme vraies dans le temps même où il sacrifiait tout à son
amour de la vérité, et il est encore plus surpris de n’éprouver
aucun vrai repentir de ces choses controuvées, lui qui braverait
« les supplices s’il les fallait éviter par un mensonge », D’où provient
cette « bizarre inconséquence » ?
Il s’en donne la raison : « Mentir sans profit ni préjudice (le soi ni d’autrui, ce n’est pas mensonge, c’est fiction [I] ». L’homme vrai de Jean-Jacques, sans manquer à la sainte vérité