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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/114

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AURORA FLOYD

— C’est là la récompense qu’obtient un camarade à faire un acte de générosité, — dit-il, en fourrant dans les charbons ardents une bougie qu’il venait aussi de prendre, ne connaissant pas de méthode plus facile de l’allumer ; — c’est dur, mais je suppose que c’est là la nature humaine.

Bulstrode alla se coucher de très-mauvaise humeur. Pouvait-il être vrai que Lucy l’aimât ? Cet habitant du comté d’York, au babil si frivole, avait-il pu découvrir un secret qui avait échappé à la pénétration du Capitaine ? Il se rappelait avoir, peu de temps auparavant, désiré que cette blonde jeune fille tombât amoureuse de lui ; et maintenant tout n’était que trouble et confusion. Guinevere était la dame de ses pensées, et la pauvre Elaine le gênait terriblement. L’admirable livre de Tennyson n’avait pas encore vu le jour en 1857, sans cela il n’est pas douteux que le pauvre Talbot se fût comparé au chevalier dont « l’honneur était enraciné dans le déshonneur. » Avait-il agi en malhonnête homme ? S’était-il compromis par ses attentions pour Lucy ? Avait-il trompé cette douce et belle créature ? Sa tête fatiguée ne trouva pas le repos cette nuit-là sur les oreillers de duvet de la chambre en perse ; et quand il s’endormit à la pointe du jour, ce fut pour avoir des rêves horribles, et pour voir dans un songe Aurora debout sur le bord d’un étang d’eau claire, au fond des bois de Felden, et montrant du doigt, au travers de la surface transparente comme du cristal, le cadavre de Lucy gisant au fond, pâle et immobile au milieu des lis et des plantes aquatiques, dont les longues tiges s’entortillaient avec ses beaux cheveux dorés. Dans ce rêve terrible, il entendit le clapotement de l’eau et il s’éveilla : il trouva dans la chambre voisine son domestique qui brisait la glace dans son bain. Ses inquiétudes au sujet de la pauvre Lucy s’évanouirent au grand jour, et il rit du trouble qui avait dû provenir de sa propre vanité. Qu’était-il pour que les jeunes femmes devinssent amoureuses de lui ? Quel sot, quel fou il avait fallu qu’il soit pour ajouter foi un seul instant au bavardage de Mellish pris de boisson ! Aussi bannit-il l’image de la cousine d’Aurora de son esprit, et n’eut-il d’yeux, d’oreilles et de pensées que pour