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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/146

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AURORA FLOYD

J’ose affirmer que si elle avait jamais réfléchi à cela, elle aurait pensé qu’un habitant du comté d’York, aux larges épaules et ayant six pieds de haut, ne pouvait jamais souffrir sérieusement d’une passion comme l’amour. Elle s’accoutumait à sa société ; elle s’accoutumait à avoir son bras robuste tout prêt pour s’appuyer dessus quand elle était fatiguée ; elle s’accoutumait à lui faire porter son album, ses châles et son pliant ; elle s’accoutumait à se faire servir fidèlement à chaque occasion par lui, qui était aux petits soins pour elle toute la journée ; elle recevait ses hommages comme une chose toute naturelle ; mais en les acceptant tacitement, elle le rendait souverainement heureux, mais d’un bonheur dangereux.

On était à la moitié de septembre, lorsqu’ils pensèrent à s’en retourner en Angleterre ; ils s’arrêtèrent quelques jours à Dieppe, où il y avait de nombreux baigneurs, et où l’établissement des bains était tout brillant de lanternes de couleur et retentissait de concerts incessants.

Les premiers jours de l’automne resplendissaient de leur beauté embaumée. Une année s’était presque entièrement écoulée depuis que Bulstrode avait fait à Aurora cet adieu qui, dans un sens du moins, devait être éternel. Aurora et Talbot pouvaient, il est vrai, se rencontrer encore ; mais les deux fiancés, qui s’étaient séparés dans la petite chambre de Felden, ne pouvaient jamais être rien l’un pour l’autre. Entre eux il y avait la mort et la tombe.

Peut-être quelques pensées de ce genre avaient-elles place dans l’esprit d’Aurora, au moment où elle s’assit ayant Mellish à côté d’elle, et qu’elle jeta les yeux sur le paysage varié du haut de la colline sur laquelle les ruines du château d’Arques élèvent encore un fier souvenir d’un temps qui n’est plus. Je ne suppose pas que la fille du banquier s’inquiétât beaucoup de Henri IV ou de toute autre célébrité morte et trépassée qui ait laissé la trace de son nom sur ce sol. Elle savourait tranquillement la pureté parfaite et la douce mollesse de l’air, l’azur foncé du ciel sans nuage, et admirait les bois étendus, les plaines fertiles, les vergers dont les arbres étaient surchargés de fruits vermeils, les pe-