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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/148

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AURORA FLOYD

— Je ne m’attends pas à ce que vous m’aimiez, Aurora, dit-il d’un ton passionné ; — comment m’aimeriez-vous ? Qu’y a-t-il chez un gros garçon gauche comme moi pour mériter votre amour ? je ne demande pas cela. Je vous demande seulement de me laisser vous aimer, de me laisser vous adorer, comme les gens que vous voyez ici s’agenouiller dans les églises adorent leurs saints. Vous ne me repousserez pas, n’est-ce pas, Aurora, parce que je prétends oublier ce que vous m’avez dit en ce jour cruel à Brighton ? Vous n’auriez jamais souffert que je restasse si longtemps avec vous, et que je fusse si heureux, si vous aviez eu l’intention de me repousser à la fin ! Vous n’auriez jamais pu être si cruelle !

Mlle Floyd le regarda, et son visage trahit une terreur subite. Qu’était-ce ? Qu’avait-elle fait ? Encore du mal, encore un malheur ! Sa vie devait-elle être une suite perpétuelle de mauvaises actions ? Devait-elle donc toujours affliger de braves cœurs ? Ce Mellish devait-il être une nouvelle victime de sa folie ?

— Oh ! pardonnez-moi ! — s’écria-t-elle, — pardonnez-moi ! je n’ai jamais pensé…

— Vous n’avez jamais pensé que chaque jour passé à vos côtés doit rendre plus cruelle et plus poignante la douleur de se séparer de vous. Ô Aurora, les femmes devraient penser à ces choses ! Éloignez-moi de vous, et que deviendrais-je ?… un pauvre être, bon à rien de mieux qu’à s’occuper de courses et de paris ; un être désolé, indifférent à tout, prêt à malfaire à la première occasion qui m’y entraînera ; méprisable aux yeux d’autrui et à mes propres yeux. Vous devez avoir vu de ces hommes-là, Aurora, des hommes dont la jeunesse sans tâche promettait un âge mûr honorable, mais qui changent tout à coup et s’en vont à leur perte en quelques années de folle dissipation. Neuf fois sur dix une femme est la cause de ce changement subit. Je mets ma vie à vos pieds, Aurora ; je vous offre plus que mon cœur… je vous offre ma destinée. Disposez-en à votre gré.

Dans son agitation, il se leva et marcha à quelques pas d’elle. Les créneaux recouverts d’herbe fuyaient en pente à ses pieds ; un fossé extérieur et un fossé intérieur étaient