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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/158

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AURORA FLOYD

peau légèrement olivâtre, et les reflets pourprés de l’épaisse couronne formée par les bandeaux de ses cheveux. Sa beauté avait ce cachet de richesse et de magnificence qui fait toujours le plus grand effet sur les masses, et la séduction de ses manières avait une puissance magique sur les gens simples. Je me perds quand j’essaye de décrire les ivresses féminines, le charme prodigieux exercé par cette sirène aux yeux noirs. Certes, le secret de sa puissance de charmer devait résider dans la prodigieuse vitalité de sa nature, qui faisait qu’elle portait avec elle la vie et l’entrain comme son atmosphère, et qu’en la respirant les gens mornes devenaient gais par l’influence de sa présence ; ou peut-être le véritable charme de ses manières consistait-il dans cette enfantine et exquise ignorance d’elle-même, qui en faisait sans cesse un être nouveau, toujours ardent et sympathique, vivement sensible à tous les chagrins d’autrui, quoique d’un caractère primitivement gai à l’extrême.

Mme Powell avait été transportée de Felden à Mellish Park ; elle était installée confortablement dans son coquet appartement, quand arrivèrent les nouveaux époux. La femme de charge dut abandonner le pouvoir exécutif à la veuve de l’enseigne, qui devait décharger Aurora de tous les tracas de l’administration.

— Dieu garde vos amis d’avoir à jamais à manger un dîner commandé par moi, John, — dit Mme Mellish, faisant franchement l’aveu de son ignorance ; — je suis enchantée aussi de ne pas avoir à mettre cette pauvre créature sur le pavé. Ces longues colonnes d’annonces dans le Times me font mal au cœur quand je pense aux épreuves par lesquelles une gouvernante doit passer. Je ne puis m’étendre à mon aise dans ma voiture et « jouir de mes avantages, » comme dit Mme Alexandre, quand je songe aux souffrances d’autrui ; je suis plutôt portée à être mécontente de mon sort et à penser que c’est une pauvre chose, après tout, que d’être riche et heureuse dans un monde où il faut qu’il y ait tant de gens qui souffrent ; aussi suis-je charmée que nous puissions donner quelque chose à faire à Mme Powell à Mellish Park.