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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/208

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AURORA FLOYD

Il contemplait cette figure pâle posée sur l’oreiller ; ces grands yeux noirs, hagards, tout grands ouverts, fixés vaguement sur le sommet lointain des arbres empourprés de l’horizon ; mais sur ce visage bien-aimé, il ne lisait pas un mot qui pût l’aider à comprendre ce mystère étrange ; il n’y avait rien de plus qu’une expression de fatigue, comme si l’âme, se reflétant sur ce pâle visage, était si affaiblie, qu’elle ne pouvait plus rien ressentir qu’un vague besoin de repos.

Les fenêtres étaient ouvertes, mais la chaleur du jour était accablante ; le paysage brillait d’une teinte jaune, comme si l’atmosphère elle-même eût pris un corps, quelque chose de semblable à l’or en fusion. Les roses du jardin semblaient elles-mêmes subir l’influence de la nue brûlante : elles laissaient retomber leurs lourdes têtes comme les personnes qu’un mal de tête accable. L’énorme Bow-wow, couché sur la pelouse sous un acacia, était aussi bourru qu’un vieux gentleman, et happait sans pitié un frivole papillon qui tournoyait en bourdonnant autour de sa tête. Tout beau qu’était ce jour d’été, il n’en était pas moins de ceux où l’on est porté à perdre sa bonne humeur et à se quereller les uns les autres, à cause de la chaleur, tout homme se sentant la conviction intime que son voisin est pour quelque chose dans l’intensité de la chaleur de l’atmosphère, et qu’il ferait plus frais s’il n’était pas là. C’était une de ces journées où les malades sont particulièrement irascibles ; où les gardes-malades murmurent contre leur métier ; où les voyageurs de troisième classe en train de plaisir et devant parcourir une longue distance demandent à grands cris de la bière à toutes les stations, et s’en veulent mutuellement du peu de place qui leur est alloué, de la dureté des bancs, et du système de ventilation insuffisant qu’emploie la compagnie ; une journée où les hommes affairés se révoltent contre le bruit incessant des roues, assiègent avec fureur les tavernes, pour y calmer leur palais surexcité avec de l’eau de Seltz et du vin frappé ; une journée anormale, où le désordre règne partout, pendant ces douze heures de chaleur suffocante.