Aller au contenu

Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
220
AURORA FLOYD

lui par la gouvernante dans les chambres de domestiques inoccupées, et il assista à l’arrangement des petites chambres rustiques allant et venant en manches de chemise, et se montrant plein d’activité avec un petit marteau et un sac plein de clous. Il s’assit sur une table et but de la bière avec une affabilité si charmante, que les garçons d’écurie lui témoignèrent autant de reconnaissance que si c’était lui qui les eût régalés de ce breuvage. En vérité, en voyant la franche cordialité avec laquelle Conyers tapait sur l’épaule des jeunes gens et les priait de ne pas négliger le broc, il était assez difficile de se souvenir que ce n’était pas lui qui payait les frais de cette petite fête, mais bien que c’était à Mellish qu’on présenterait la facture du brasseur. Parmi toutes les vertus qui font l’ornement de cette terre, quelle chose peut être plus charmante que la générosité des premiers valets ! Avec quel joyeux entrain ils font circuler la bouteille ! avec quelle libéralité ils jettent dans la théière la poudre à canon à sept shillings la livre ! avec quelle prodigalité ils étendent sur les rôties de pain le beurre frais à dix pence ! et quel chaleureux accueil ils font à ceux que le hasard amène à l’office ! Et, ce qui est singulier, c’est que tout le monde semble oublier que c’est le maître de la maison qui devra payer les frais du banquet, et qui, à la fin du terme, jettera un œil courroucé sur le total des dépenses de la maison.

Il n’était pas à supposer qu’un homme aussi important que Conyers pût, comme tous les domestiques, se servir lui-même ; il lui fallait un jeune gars pour cirer ses bottes, faire son lit, allumer son feu, préparer son dîner, et tenir en ordre les deux petites chambres du cottage. Cherchant en lui-même à qui il pourrait bien confier ce soin tout particulier, il pensa à Hargraves. Il était assis sur l’appui d’une fenêtre ouverte du petit salon du cottage, fumant un cigare et buvant de la bière, quand cette idée lui vint à l’esprit. Cette idée le mit tellement en joie, qu’il ôta son cigare de sa bouche pour pouvoir rire à son aise.

— Cet homme est un type, — dit-il en riant toujours, — et je le prendrai pour me servir. On lui a interdit l’en-