Aller au contenu

Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
223
AURORA FLOYD

dans le parc, il aurait pu croire qu’elle ne l’avait pas vu. Elle était pâle et soucieuse, et ses yeux semblaient s’être agrandis depuis son indisposition ; mais elle tenait la tête haute comme toujours, et elle n’avait rien perdu de cette hauteur impériale qui constituait un de ses principaux charmes.

— Ainsi c’est là M. Mellish, — dit Conyers quand la voiture eut disparu. — Il a l’air de beaucoup aimer sa femme.

— Oui, assurément, il l’aime beaucoup ! On dit qu’il n’y a pas deux couples pareils dans tout le comté. Et elle, elle l’aime beaucoup de son côté ; mais qui n’aimerait pas John ?

Conyers haussa les épaules ; ces mœurs patriarcales et ces vertus domestiques n’avaient aucun charme pour lui.

— Elle a beaucoup de fortune, n’est-ce pas ? — demanda-t-il, afin de ramener la conversation sur un terrain plus sérieux.

— Beaucoup de fortune ! Je le crois bien. On dit que son père lui a donné cinquante mille livres le jour de son mariage ; ce n’est pas à dire que notre maître ait besoin d’argent, il en a assez pour ne pas tout dépenser.

— Ah ! vraiment, — reprit Conyers ; — c’est toujours comme cela. Le banquier a donné cinquante mille livres à sa fille ? Mlle Floyd eût épousé un pauvre diable, je ne crois pas que son père lui eût donné cinquante pièces de six pence.

— Pour ça, non ; si elle avait agi contre ses désirs, je ne le suppose pas. Il était ici au printemps dernier ; c’est un beau vieillard à cheveux blancs, mais qui s’en va.

— Ah ! il s’en va. Et Mme Mellish aura à sa mort un quart de million sterling, n’est-ce pas ? Allons, au revoir, madame. Quel drôle de monde !

Conyers prit sa canne, et disparut en boitant sous les arbres, répétant plusieurs fois cette dernière exclamation. C’était une habitude chez cet individu d’attribuer la bonne fortune des autres à quelque excentricité dans la machine sociale, qui faisait que la seule personne réellement méritante du monde, avait été privée de ses droits naturels. Il gagna par le bois une prairie où plusieurs des chevaux