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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/238

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AURORA FLOYD

nous apprendre qu’il lui est indifférent d’attendre autant qu’il nous plaît le dîner, et qu’elle préférerait tout autant ne pas dîner du tout. N’est-ce pas une chose étrange, John, que la haine de cette femme pour moi ?

— Sa haine, chère, quand vous êtes si bonne pour elle !

— Mais c’est parce que je suis bonne pour elle qu’elle me hait, John. Si je lui donnais mon collier de diamants, elle me haïrait parce que je l’aurais à donner. Elle nous hait parce que nous sommes riches, jeunes et beaux, — dit Aurora en riant ; — juste le contraire de sa pâle et peu avenante personne.

Il était étrange qu’en ce moment Aurora semblât retrouver sa gaieté et son humeur charmante, et redevenir ce qu’elle avait été avant la lettre de Pastern. Quelque sombres qu’eussent été les nuages qui avaient plané sur sa tête depuis le jour où cette simple lettre avait produit un si terrible effet, ces nuages menaçants s’étaient dissipés tout à coup. Mme Powell eut bientôt remarqué ce changement. Les yeux de l’amour, si pénétrants qu’ils puissent être, ne sont rien auprès des yeux de la haine. Ceux-là ne se trompent jamais. Aurora était sortie du salon, morne et découragée, pour aller respirer sur la pelouse ; Mme Powell, assise dans l’embrasure d’une des fenêtres, avait épié tous ses mouvements, et l’avait vue à distance parler à quelqu’un de son poste d’observation (il lui avait été impossible de distinguer l’idiot) ; et cette même Aurora rentrait une toute autre créature. Il y avait un air de résolution sur cette bouche magnifique (que la critique féminine trouvait trop grande), air qui n’était pas étranger à ces lèvres roses, et un éclat dans les yeux qui sûrement avait une signification.

— Si je pouvais seulement trouver la clef de cette signification cachée, — pensait Mme Powell.

Depuis la maladie d’Aurora, la pauvre femme n’avait pas cessé de chercher cette clef ; elle cherchait à tâtons dans la profonde obscurité qui défiait sa très-grande pénétration. Qu’était donc ce groom ? qui était-il, pour qu’Aurora lui écrivît, comme elle lui avait évidemment écrit ? Pourquoi