Aller au contenu

Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
264
AURORA FLOYD

pénible, vous vous chagrineriez, ainsi que moi, bien grandement à tort. J’ai commis une erreur, Lucy, mais Dieu soit loué, je m’en suis aperçu à temps.

Nous devons faire remarquer que Bulstrode était toujours très-démonstratif dans sa reconnaissance envers la Providence, pour avoir échappé aux liens qui avaient dû l’unir à Aurora. Il avait aussi un grand fonds de pitié pour Mellish. Mais, malgré tout, il était toujours disposé à se montrer taquin et querelleur avec l’habitant du comté d’York ; et je me demande si les petites gaucheries et les maladresses de John ne lui faisaient point quelque plaisir. Il y a certaines plaies qui ne se cicatrisent jamais entièrement. Les chairs divisées peuvent être réunies, les calmants peuvent vaincre l’inflammation ; la cicatrice même que laisse le coup de poignard peut s’effacer, disparaissant dans la transformation graduelle que subit chaque atome, selon les physiologistes ; mais la blessure a existé, et, jusqu’à la fin de nos jours, il y a des changements de température qui nous rappellent notre ancienne douleur.

Aurora traitait le mari de sa cousine avec la calme cordialité qu’elle eût accordée à un frère. Elle ne lui gardait point rancune de son ancien abandon, car elle était heureuse avec son mari. Elle était heureuse avec l’homme qui l’aimait et avait confiance en elle, et qui supportait toutes les épreuves avec sa foi candide. Mme Mellish et Lucy se promenèrent au bord de l’eau, autour des parterres de fleurs, et laissèrent les hommes sur le pont.

— De sorte que vous êtes parfaitement, mais parfaitement heureuse, ma chère Lucy ? — dit Aurora.

— Oh ! oui… oui… ma chère amie. Comment ferais-je autrement ? Talbot est si bon pour moi. Je sais bien qu’il vous a aimée la première, et qu’il ne m’aime peut-être pas de la même manière… peut-être pas autant.

Lucy ne se lassait point de faire vibrer cette corde.

— Mais je suis très-heureuse. Il faut venir nous voir, ma chère Aurora, notre maison est si jolie !

Ici, Mme Bulstrode commença une description détaillée des meubles et des décorations de son habitation, qu’il est