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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/41

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AURORA FLOYD

enivrante à contempler. Le Capitaine avait servi dans l’Inde, et avait une fois goûté d’une horrible liqueur spiritueuse appelée bang, qui rend à moitié fous les hommes qui en boivent ; et il ne put s’empêcher de se figurer que la beauté de cette femme avait la puissance de cette préparation alcoolique : qu’elle était féroce, enivrante, dangereuse, et qu’elle devait mener à la folie.

Son camarade le présenta à cette merveilleuse créature, et il apprit que sur terre elle se nommait Aurora Floyd, et qu’elle était l’héritière de Felden.

Bulstrode fut bientôt remis de sa première impression. Cette créature impérieuse, cette Cléopâtre en crinoline, avait un front bas, un nez qui déviait de la ligne normale de la beauté et une grande bouche. Ce n’était qu’un piège de plus, recouvert de mousseline blanche et dont l’appât consistait en fleurs artificielles, comme toutes les autres femmes. Elle devait avoir cinquante mille livres de dot, aussi n’avait-elle pas besoin d’un mari riche ; mais elle n’avait point un nom marquant dans la société, aussi avait-elle naturellement besoin d’une position, et sans doute elle avait lu l’histoire des Raleigh Bulstrode dans les sublimes pages de Burke. C’est pourquoi les yeux gris clair de Talbot prirent une expression aussi froide que jamais, au moment où il salua l’héritière. Maldon procura à sa compagne une chaise tout près du pilastre contre lequel s’était adossé Bulstrode, et Mme Alexandre Floyd s’étant emparée à l’instant même du cornette, dans la cruelle intention de l’emmener danser avec une dame qui exécutait une plus grande partie de ses pas sur les pieds de son cavalier que sur le parquet de la salle de danse, Aurora et Talbot restèrent seuls ensemble.

Le Capitaine abaissa les yeux sur la fille du banquier. Son regard s’arrêta sur cette tête gracieuse, parée de sa couronne d’éclatantes graines rouges qui entouraient les touffes lisses et unies de cheveux plus que noirs. Il s’attendait à lui voir baisser modestement les paupières, comme le font les jeunes filles qui ont de longs cils, mais il fut désappointé, car Aurora regardait droit devant elle, ni lui