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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/57

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AURORA FLOYD

auraient servi à engraisser les cochons pour la Noël, sans les ordres rigoureux de Floyd, qui avait recommandé qu’on les donnât aux gens qui voudraient bien venir les chercher.

Floyd et ses hôtes ne quittèrent les jardins que quand les dames se furent retirées pour aller faire leur toilette. Le dîner fut très-animé, car Alexandre Floyd arriva, de la ville pour rejoindre sa femme et sa fille, amenant avec lui son bruyant fils, qui venait d’être admis à Eton, et qui était passionnément attaché à sa cousine Aurora ; et Bulstrode ne put découvrir si cela était dû à l’influence de ce jeune homme ou à cette mobilité qui faisait partie de sa nature, mais ce qu’il y eut de certain, c’est que le sombre nuage qui enveloppait le visage de Mlle Floyd se dissipa, et qu’elle s’abandonna à la joie du moment avec une grâce radieuse, qui rappela à son père la soirée où Éliza Percival avait joué lady Teazle pour la dernière fois, et avait fait ses adieux à la scène sur le petit théâtre du comté de Lancastre.

Il ne fallait que ce changement chez sa fille pour rendre Archibald parfaitement heureux. Les sourires d’Aurora semblèrent répandre une influence régénératrice sur toute la société. La glace fondit, car le soleil s’était montré et l’hiver avait enfin disparu. Bulstrode se mit le cerveau à l’envers pour tâcher de découvrir comment il se faisait que cette femme fût une créature si incomparable et si séduisante ; comment il se faisait que, il avait beau dire, il se laissait lui-même ensorceler par cette sirène aux yeux noirs ; il buvait abondamment à la coupe de bang qu’elle lui présentait et y puisait promptement l’ivresse.

— Je pourrais presque devenir amoureux de mon idéal aux cheveux blonds, — pensa-t-il, — mais je ne puis m’empêcher d’admirer cette jeune fille extraordinaire. Elle ressemble à Mlle Nisbett à l’apogée de sa réputation et de sa beauté ; elle ressemble à Cléopâtre descendant le Cydnus ; elle ressemble à Nell Gwynne vendant des oranges ; elle ressemble à Lola Montés livrant bataille aux étudiants bavarois ; elle ressemble à Charlotte Corday, le couteau à la main, debout derrière le hideux Marat plongé dans son bain ; elle ressemble à tout ce qui est beau, étrange, mauvais, indigne