Aller au contenu

Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
AURORA FLOYD

cats et de négociants, des filles de bonne famille, mais sans fortune, des orphelines, filles de toute espèce de personnages nobles et distingués, se présentèrent comme étant, chacune pour son compte, la personne, entre toutes les créatures vivantes sur la terre, la plus capable d’occuper le poste proposé. Mme Alexandre choisit six lettres, jeta le reste dans le panier aux papiers inutiles, fit mettre les chevaux à la voiture du banquier et partit pour la ville, afin d’aller voir les six dames qui lui avaient écrit ces six lettres. C’était une femme active et pratique que Mme Alexandre, et elle fit subir un examen si sévère aux six concurrentes, que, quand elle revint chez Floyd, ce fut pour annoncer qu’il n’y en avait qu’une qui fût bonne à quelque chose, et que celle-là viendrait à Felden le lendemain.

La dame qu’elle avait choisie était la veuve d’un enseigne mort six mois après son mariage, une heure et demie environ avant d’hériter de biens énormes, héritage dont les détails n’avaient jamais été bien compris des amis de sa veuve infortunée. Mais toute vague que fût cette histoire, elle suffit pour poser Mme Walter Powel dans le monde comme une femme ayant eu des malheurs. Mme Powel avait des cheveux blonds non frisés, et penchait la tête d’une façon toute féminine. Elle avait quitté la pension pour se marier, et au bout de six mois de vie conjugale elle était retournée dans la même pension en qualité de sous-maîtresse chargée d’instruire les plus jeunes élèves. Toute son existence s’était passée à recevoir et à donner des leçons ; dans son enfance, elle avait exercé une espèce d’enseignement au jour le jour, enseignant le matin ce qu’elle avait appris la veille au soir ; elle n’avait jamais laissé une occasion de se perfectionner ; elle était machinalement devenue d’une certaine capacité comme musicienne et comme peintre ; elle avait acquis dans les langues étrangères une sorte de talent de perroquet ; elle avait lu tous les livres que sa profession lui imposait de lire ; elle connaissait toutes les choses qu’il lui était nécessaire de savoir ; mais, hors de là, passé les limites d’une salle d’étude, c’était une femme ignorante, sans âme, à idées basses