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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/64

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AURORA FLOYD

j’allais me rendre chez Folthorpe pour demander l’adresse de monsieur votre père. Se porte-t-il bien ?

— Bien… oui… c’est-à-dire assez bien.

Une ombre glissa sur ses traits au moment où elle prononçait ces paroles. Sur son visage les ombres et la lumière se succédaient avec une rapidité merveilleuse.

— Mais nous ne nous attendions pas à vous voir à Brighton, Capitaine Bulstrode, nous pensions que votre régiment était toujours en garnison à Windsor.

— Oui, mon régiment… c’est-à-dire le 11e hussards, est toujours à Windsor ; mais j’ai vendu mon brevet.

— Vendu votre brevet !…

Aurora et sa cousine ouvrirent de grands yeux en apprenant cette nouvelle.

— Oui, je suis fatigué du service. C’est une existence monotone, maintenant qu’on ne se bat plus. J’aurais pu me présenter et aller dans l’Inde, certainement, ajouta-t-il, comme s’il répondait à un argument qu’il se posait à lui-même ; mais je suis d’un âge mûr, et je suis las de courir le monde.

— J’aimerais à aller dans l’Inde, dit Aurora en regardant du côté de la mer.

— Vous, Aurora ! mais pourquoi ? — s’écria Lucy.

— Parce que je déteste l’Angleterre.

— Je croyais que c’était la France que vous n’aimiez pas.

— Je hais l’un et l’autre de ces pays. À quoi sert que le monde soit vaste, si nous devons nous arrêter à perpétuité dans un seul endroit, enchaînés à un seul ordre d’idées, à un seul cercle étroit de personnes, voyant et entendant sans cesse, sans relâche les gens que nous détestons, sans pouvoir échapper au son odieux de leurs noms ? J’aimerais à être missionnaire et à aller au centre de l’Afrique avec le docteur Livingstone et sa famille, et j’irais, si je n’étais retenue par mon père.

La pauvre Lucy regarda sa cousine en face dans un ébahissement complet. Bulstrode retomba dans cet état de ravissement dans lequel cette jeune fille le jetait toujours. Que signifiaient, chez cette héritière de dix-neuf ans, ces