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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/72

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AURORA FLOYD

en bottes à revers, était plus beau que l’Apollon du Belvédère dont une statue en bronze ornait une niche du vestibule. Si vous leur aviez dit qu’il n’était pas indispensable de peser 14 stones[1] pour atteindre la perfection de la beauté humaine, ou qu’il était possible qu’il existât des mérites d’un ordre plus relevé que celui de mener des unicorns, de tuer quatorze pièces de gibier dans une matinée, de faire rentrer l’épaule de la jument baie dans l’articulation le jour où elle se l’était démise à la chasse, de vaincre Joe Millings, le boxeur d’East-Riding, sans seulement prendre haleine : ces naïfs domestiques du comté d’York vous auraient volontiers ri au nez. Bulstrode se plaignait que tout le monde le respectait et que personne ne l’aimait. Mellish aurait pu articuler la contrepartie de cette plainte, s’il y eût pensé. Qui pouvait s’empêcher d’aimer le brave, le généreux gentleman dont la maison et la bourse étaient ouvertes à tout son voisinage ? Qui pouvait éprouver le moindre sentiment de respect pour le maître aux allures familières et amicales, qui se mettait à table dans la vaste cuisine de Mellish Park, entouré de ses chiens et de ses domestiques, auxquels il racontait les aventures de la chasse du jour, jusqu’à ce que le vieux chien aveugle couché à ses pieds levât sa grosse tête, et fît entendre une faible musique ? Non ; Mellish était charmé d’être aimé, et il ne s’inquiétait jamais de la qualité de l’affection dont il était l’objet. Pour lui, tout était de l’or vierge le plus pur ; et vous auriez pu lui tenir une conversation de douze heures consécutives sans le convaincre que les hommes et les femmes étaient de vils mercenaires, et que, si ses domestiques, ses fermiers et les pauvres des alentours l’aimaient, c’était à cause des bienfaits temporels qu’ils recevaient de lui. Il était aussi peu méfiant qu’un enfant, qui croit que les fées qu’il voit jouer la pantomime sont toujours des fées, et que l’arlequin est né dans son costume bigarré et avec son masque noir. Il était aussi accessible à la flatterie qu’une écolière qui distribue le contenu de son panier à un cercle de camarades qui la flagornent. Quand on lui

  1. Stone, terme de sport : poids de quatorze livres.