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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/82

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AURORA FLOYD

— Puis-je… oser m’informer, — dit-il (comme cette tournure de phrase avait l’air horriblement banal ! il n’aurait pu se servir d’une plus piteuse s’il se fût enquis d’un appartement meublé), — puis-je vous… demander si un attachement antérieur pour quelqu’un de plus digne…

— Oh ! non… non… non…

Cette réponse le surprit si subitement, qu’elle l’abasourdit autant que le refus qu’il venait d’essuyer.

— Et cependant votre décision est irrévocable ?

— Tout à fait irrévocable.

— Pardonnez-moi si je suis importun ; mais… mais M. Floyd a peut-être formé des vues plus élevées.

Il fut interrompu par un sanglot étouffé, et elle détourna le visage qu’elle cacha dans ses mains.

— Des vues plus élevées ! — dit-elle, — le pauvre cher vieillard ; non… non… assurément…

— Excusez-moi si je vous importune de ces questions, mais il est bien pénible de penser que, vous trouvant libre de vos affections, je ne puisse obtenir une ombre de probabilité sur laquelle je puisse bâtir une espérance pour l’avenir.

Pauvre Talbot ! Talbot, le logicien, le raisonneur serré, parlant de bâtir des espérances sur des ombres avec la stupidité d’un amoureux en délire !

— Il est bien dur de renoncer à la pensée que vous ne reviendrez jamais sur votre décision de ce soir, Aurora…

Il s’arrêta un instant sur son nom, d’abord parce qu’il était doux à prononcer, et, en second lieu, dans l’espoir qu’elle parlerait.

— Il est bien dur de me souvenir de l’échafaudage de bonheur que j’avais osé élever et de le voir renverser ce soir pour toujours.

Talbot oubliait complètement que, jusqu’à l’époque de l’arrivée de Mellish, il s’était continuellement prononcé contre sa passion et s’était mainte et mainte fois dit à lui-même qu’il serait un fou consommé s’il se laissait jamais séduire au point de faire sa femme d’Aurora. Il accomplissait la contre-partie de la fable du renard ; car il avait été disposé à faire la grimace aux raisins pendant qu’il les