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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/90

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AURORA FLOYD

grands yeux noirs, une mélodieuse harmonie à son rire joyeux. Talbot, une fois qu’il se fut abandonné au charme de la sirène, ne tenta plus de lutter, mais tomba bénévolement dans les pièges que lui tendaient ses yeux, et s’empêtra dans les filets de sa chevelure noire. Plus l’arc est tendu, plus la corde vibre avec vigueur, et Bulstrode montra autant de faiblesse à céder, enfin, qu’il avait longtemps montré de force à résister. Je dois écrire son histoire dans les termes les plus simples. Il n’y pouvait rien ! Il l’aimait ; non qu’il la jugeât meilleure, plus vertueuse, plus aimable, ou lui convenant mieux que bien d’autres femmes ; il entretenait, en effet, des doutes sérieux sur chacun de ces points ; mais c’était sa destinée de l’aimer.

Quel est le mot cruel que M. Victor Hugo met dans la bouche du prêtre, dans Notre-Dame de Paris, pour excuser la noirceur de son crime ? ἈΝΑΓΚΗ ! C’était son destin ! Il écrivit à sa mère, en lui disant qu’il avait choisi une épouse, appelée à habiter le château de Bulstrode et à voir son nom inscrit dans les annales de la famille ; il ajouta que Mlle Floyd était fille d’un banquier, belle, séduisante, qu’elle avait de grands yeux noirs, et cinquante mille livres de dot. Lady Raleigh Bulstrode, en réponse, adressa à son fils une lettre écrite sur un cahier de papier à lettres et remplie d’inquiètes recommandations, de prudents conseils maternels ; elle espérait qu’il avait fait un bon choix ; elle le questionnait sur les opinions et les principes religieux de la jeune fille, et lui faisait mainte autre demande, auxquelles Talbot eût certainement été fort embarrassé de répondre. À cette lettre en était jointe une seconde pour Aurora ; elle était pleine de tendresse et de bonté féminine, et la fierté y était tempérée par l’affection ; cette lettre fit couler de grosses larmes des yeux de Mlle Floyd, au point que l’écriture assurée de lady Bulstrode en fut toute barbouillée et effacée.

Et où s’en alla le pauvre Mellish ainsi immolé ? Il retourna à Mellish Park, emmenant avec lui ses chiens, ses chevaux, ses grooms, son phaéton et autres attirails ; mais son chagrin s’étant malheureusement emparé de lui après