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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/13

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AURORA FLOYD

Le Capitaine s’arrêta, et regarda par la portière pendant plus de cinq minutes avant de reprendre son récit. Lorsqu’il le fit, ce fut à voix basse, et il scanda ses phrases, comme s’il eût craint en les faisant trop longues d’être obligé de s’arrêter au milieu.

— Éliza était morte il y avait vingt et un ans. La tante Sarah me donna tous les détails nécessaires. Elle avait appris à faire des fleurs artificielles, et n’avait point trouvé cet état de son goût, puis elle s’était fait actrice. À vingt-neuf ans, elle s’était mariée ; elle avait épousé un individu qui ne connaissait pas sa fortune, et elle était partie pour demeurer dans un charmant endroit dans le comté de Kent. J’ai le nom écrit quelque part dans mon agenda. Mais elle avait été bonne et généreuse pour la tante Sarah, et la tante Sarah devait aller dans le comté de Kent la voir et passer tout l’été auprès d’elle. Mais pendant que la tante Sarah faisait ses préparatifs pour aller visiter sa nièce, ma sœur Éliza mourut, laissant une fille, qui est la nièce que je vais voir à présent. Je m’assis sur un tabouret de bois derrière le comptoir, je cachai mon visage dans mes mains, et je songeai à la petite fille que j’avais vue il y a quarante ans jouant à cloche-pied ; je croyais que mon cœur allait se briser, mais je ne versai pas une larme. La tante Sarah ôta une large broche de son col, et me montra une boucle de cheveux noirs derrière un verre, avec un cercle d’or autour. « M. Floyd a fait faire cette broche exprès pour moi, dit-elle ; il a toujours été très-généreux pour moi ; il vient à Liverpool une fois tous les deux ou trois ans, et prend le thé avec moi dans la salle à côté ; et je n’aurais pas besoin de tenir boutique si je voulais, car il me fait une rente convenable ; mais je mourrais d’ennui si je cessais le commerce. » Le nom d’Eliza et la date de sa mort étaient gravés derrière la broche. J’essayai de me rappeler où j’avais été et ce que j’avais fait cette année-là. Mais je ne le pus, monsieur. Toute l’existence que je cherchais à rappeler à mes souvenirs était mêlée et embrouillée comme un rêve, et je ne pouvais songer qu’à la petite sœur, à laquelle j’avais dit adieu à bord du Ventur’some, il y avait quarante