Aller au contenu

Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
AURORA FLOYD

gnant la porte ouverte du cabinet. — Je suis bien aise de vous voir. J’ai… j’ai souvent entendu parler de vous. Vous êtes le frère de ma pauvre femme qui s’était enfui.

Même au milieu du regrettable souvenir de cette courte période de bonheur passé, il y avait un peu d’orgueil, et il ferma soigneusement la porte du cabinet pour dire ceci.

— Dieu vous bénisse, monsieur, — continua-t-il en tendant sa main au marin ; je vois que j’ai raison, vos yeux ressemblent à ceux d’Éliza. Vous et les vôtres serez toujours les bienvenus sous mon toit. Oui, Samuel, vous voyez que je sais votre nom de baptême ; et à ma mort vous verrez que vous n’avez point été oublié.

Le marin remercia chaleureusement son beau-frère, et lui dit qu’il ne demandait, ni ne désirait rien autre chose que la permission de voir sa nièce.

En faisant cette demande, il avait les yeux fixés sur la porte de la petite chambre, attendant évidemment que l’héritière parût en ce moment. Il fut terriblement désappointé lorsque le banquier lui apprit qu’Aurora était mariée, et demeurait près de Doncastre ; mais que s’il fût arrivé dix heures plus tôt il l’eût trouvée à Felden.

Ah ! qui n’a entendu ces mots remplis de banalité ? À qui n’a-t-on pas dit que, s’il était arrivé plus tôt, ou parti de meilleure heure, ou s’il avait marché plus vite, ou ralenti le pas, ou bien, fait ce qu’il n’a pas fait, le cours entier de l’existence eût été tout autre ? Il nous semble dur de ne pouvoir défaire notre existence par morceaux, comme une couturière fait de son ouvrage, en le défaisant et en rajustant l’étoffe d’une autre manière. Combien nous ménagerions l’étoffe, combien mieux tourné serait le vêtement, si nous avions seulement le droit de nous servir de nouveau de nos ciseaux et de notre aiguille, et de remettre le passé à la mode, avec l’expérience du présent !

— Quand je pense que j’aurais pu venir hier ! — s’écria le Capitaine ; — mais j’ai remis mon voyage, parce que c’était vendredi ! Si seulement j’avais su !…

— Certes, Capitaine Prodder, si vous aviez seulement su ce qu’il ne vous était point donné de savoir, vous eussiez