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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/8

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AURORA FLOYD

— Maintenant, peut-être, n’allez-vous pas me croire, — continua-t-il après que son offre obligeante eut été refusée, et que la bouteille recouverte d’osier eut été replacée dans sa vaste poche ; vous ne me croirez pas lorsque je vous dirai franchement, comme je vous le dis, que jusqu’à samedi dernier je n’ai pas pu trouver le temps de retourner à Liverpool, et de m’informer de la petite sœur que j’avais laissée pas plus haute que la table de cuisine, et qui avait pleuré à se fendre le cœur lorsque je partis. Mais, que vous le croyiez ou non, c’est aussi vrai que l’Évangile, — s’écria le marin donnant un vigoureux coup de son énorme poing sur le support rembourré du compartiment qu’il occupait ; — c’est aussi vrai que l’Évangile. J’ai côtoyé l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud, j’ai porté des marchandises des Indes-Orientales aux Indes-Occidentales, et des Indes-Occidentales aux Indes-Orientales. J’ai fait le commerce des marchandises norvégiennes, entre la Norvège et Hull. J’ai transporté des produits de Sheffield, de Hull dans l’Amérique du Sud. J’ai voyagé pour le commerce dans toute sorte de pays, dans toute espèce de ports, mais je ne sais pourquoi je n’ai jamais eu un moment pour débarquer à Liverpool, afin de retrouver la ruelle étroite dans laquelle j’avais laissé ma sœur Éliza, pas plus haute que la table, il y a plus de quarante ans, jusqu’à samedi dernier. Samedi dernier, il y a une semaine, je touchai à Liverpool avec un chargement de fourrures et de plumes de perroquets, ce que vous pourriez appeler des marchandises de fantaisie ; et je dis à mon second : « Je vais vous dire, Jack, je vais vous dire ce que je vais faire ; je vais descendre à terre, et voir ma petite Éliza. »

Il fit une nouvelle pause, et un air de douceur couvrit la flamme de ses yeux noirs. Cette fois il ne s’adressa point à la bouteille d’osier. Cette fois il essuya du dos de sa main bronzée ses cils, et la ramena avec une larme ou deux sur sa peau. Sa voix même avait subi un changement lorsqu’il continua ; elle était devenue plus sonore et plus grave, jusqu’à ce qu’elle eût atteint cette mélodieuse assonance qui, vingt et un ans auparavant, avait tant contribué à faire de