Aller au contenu

Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
85
AURORA FLOYD

gard, toujours d’une pâleur maladive, était ce soir-là encore moins coloré qu’à l’ordinaire. Sa voix n’était pas altérée le moins du monde. S’il marchait le corps penché en avant, si son regard était furtif, c’est que c’était son attitude et son regard habituels. Personne ne le regardait, personne ne faisait attention à lui. Après qu’on lui eut demandé à quelle heure son maître était sorti, personne ne lui parla plus ; s’il se trouvait sur le chemin de quelqu’un, on le poussait de côté ; s’il parlait, personne ne l’écoutait. Le cadavre était le seul personnage de cette scène lugubre. C’était sur lui que se portaient les regards effrayés ; c’était de lui qu’on parlait à voix basse. Toutes les questions, les suggestions, les conjectures le concernaient et ne concernaient que lui. C’est un fait digne de remarque dans la physiologie de tous les meurtres, que, jusqu’à l’enquête du coroner, le seul objet de la curiosité publique est l’homme assassiné ; tandis qu’immédiatement après les investigations judiciaires le courant change ; le mort est enterré et oublié, et l’accusé devient le héros des gens à imaginations maladives.

Mellish s’approcha de la porte du cottage pour faire quelques questions.

— Avez-vous trouvé quelque chose, Dork ? — demanda-t-il.

— Rien de particulier, monsieur.

— Rien qui jette quelque lumière sur cette affaire ?

— Non, monsieur.

— Vous allez rentrer chez vous, alors ?

— Oui, monsieur, il faut que je rentre tout de suite ; si vous voulez laisser ici quelqu’un pour veiller…

— Oui, oui, — dit John, — un des domestiques va rester.

— Très-bien, monsieur ; je vais seulement prendre les noms des témoins qui seront interrogés dans l’enquête, et j’irai voir le coroner demain à la première heure.

— Les témoins ; ah ! oui, c’est vrai ; qui voulez-vous ?

Dork hésita un moment ; il se grattait le menton.

— Cet homme qui est là, c’est Hargraves, je crois, que vous l’appelez, — dit-il ; — nous aurons besoin de lui, car