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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

Il avait mis le passé de côté comme s’il n’eût jamais existé, et concentré toute la force de son esprit sur l’idée unique qui le possédait comme quelque puissant démon.

Quelquefois une terreur soudaine s’emparait de lui. Si Henry Dunbar était mort dans la traversée ! Si l’Électre allait n’apporter qu’un cercueil de plomb et un cadavre embaumé avec des essences !

Non, il ne pouvait se faire à cette idée ! La destinée qui avait séparé ces deux hommes pendant la moitié d’une longue existence devait les rapprocher mystérieusement à l’époque actuelle.

La philosophie du vieux commis n’était pas en somme si creuse :

« Tôt ou tard… tôt ou tard… le jour de l’expiation arrive ! »

Quand l’obscurité se fit, Joseph quitta la petite auberge et revint à Southampton. Il était tout à fait nuit quand il entra dans la Grande-Rue, et on fermait la boutique du tailleur.

— Je croyais que vous aviez oublié votre paquet, monsieur, — dit le marchand ; — il y a bien longtemps qu’il est prêt, faut-il vous l’envoyer quelque part ?

— Non, merci, je l’emporterai moi-même.

Le paquet en papier brun était très-volumineux, mais Joseph le mit sous son bras, quitta la boutique du tailleur, et se dirigea vers une jetée qui s’avançait dans la mer.

En marchant sur le bord de la rivière, lorsqu’il était revenu de la taverne du village à Southampton, il avait rempli ses poches de pierres. Il s’agenouilla en ce moment sur le bord de la jetée, et noua toutes ces pierres dans un vieux mouchoir de poche en coton. Quand il eut achevé cette besogne, qu’il fit avec soin et lestement comme un homme habitué à faire toute espèce d’étranges choses, il attacha le mouchoir plein