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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

d’une existence des plus vulgaires ? Est-ce pour ma propre édification, est-ce dans un but de progrès moral ? Il est bien rare que je relise ces notes dénuées d’intérêt ; et je doute fort que la postérité se soucie de savoir que je suis allé au bureau à dix heures du matin, le mercredi, que je n’ai pu trouver de place dans l’omnibus, ce qui m’a obligé à prendre une voiture qui m’a coûté deux shillings, que j’ai dîné en tête-à-tête avec ma mère, et que le soir j’ai terminé la lecture du troisième volume de la Révolution française de Carlyle. À quoi pourra jamais servir un journal comme le mien ? Quelque célèbre Nouveau-Zélandais de l’avenir découvrira-t-il un jour ces volumes dans les ruines de Clapham ? Et me citera-t-on comme le Pepys du dix-neuvième siècle ? Mais je suis bien loin de la haute saveur du mondain petit commis d’État. Peut-être l’époque dans laquelle je vis manque-t-elle des épices et de l’assaisonnement de cet âge d’or de la corruption pendant lequel les jupons blancs de lady Castlemain pouvaient être aperçus flottant à tous les vents par le premier flâneur frivole qui s’avisait de prendre des notes sur ces vêtements.

« Quoi qu’il en soit, c’est une habitude puérile et surannée à la fois que cette manie d’un journal quotidien, et je ne puis m’empêcher de penser que ce fameux Pepys devait être un vieux garçon gâté. Aujourd’hui cependant, j’ai à consigner autre chose que les courses en voiture, les omnibus complets, et le titre d’un ouvrage favori. Dernièrement, ma mère et moi nous avons eu nos habitudes dérangées, bouleversées de fond en comble par l’arrivée d’une demoiselle.

« C’est une demoiselle excessivement jeune, car elle est encore séparée par une longue période d’une époque qu’elle semble considérer comme la plus en-