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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

que vous tenez abaissés sur moi vos yeux inquisiteurs dont j’aime tant la nuance.

« Savez-vous que M. Lenoble a les yeux presque de la même couleur que les vôtres, Charlotte ?

« Vous m’avez fait, l’autre jour, une douzaine de questions sur la couleur de ses yeux, et je n’ai pu vous les décrire d’une façon bien nette ; mais hier, pendant qu’il était debout près de la fenêtre, regardant dans le jardin, j’ai vu leur couleur réelle.

« Ils sont gris, d’un gris bleu, et ses cils sont noirs comme les vôtres.

« Par où commencer ? c’est la grande difficulté.

« Je suppose que vous désirez savoir quelque chose sur le voyage. Il a été en tout fort agréable, malgré le vent frais de mars, qui soufflait avec violence.

« Savez-vous ce que mon dernier voyage m’a rappelé, Charlotte ? Le long et fatigant voyage que j’ai fait de Spa à Londres, quand M. Haukehurst a conseillé et préparé mon retour en Angleterre.

« J’étais restée seule assise sur le balcon regardant la petite ville ; il était plus de minuit, mais les réverbères brûlaient toujours. Je vois encore les fenêtres éclairées briller au milieu de l’obscurité de la nuit, au moment où j’écris cette lettre, et le sentiment de profonde désolation que j’éprouvais alors me revient comme un souffle de vent glacé. Je ne trouve pas de mots pour exprimer combien j’étais malheureuse et désespérée cette nuit-là.

« Je n’osais penser à mon existence à venir, ni même au lendemain, qui était le commencement de cet avenir sans espoir. J’étais obligée d’arrêter mon esprit sur le présent et toutes ses rigueurs, et une sorte de sombre apathie, trop accablante pour trouver