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Page:Braddon - L’Héritage de Charlotte, 1875, tome II.djvu/288

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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

jours et toujours répétée, dans tous les commerces et dans toutes les professions. Je m’étais posé comme docteur à Philadelphie, et mes affaires allaient bien, jusqu’au jour où l’un de mes malades mourut et où les choses tournèrent contre moi. J’ai été clerc dans plus d’études que vous ne pouvez en compter sur vos dix doigts, mais il survenait toujours quelque chose, mon patron prenait la fuite, ou faisait banqueroute, ou mourait, ou me renvoyait. J’ai travaillé comme dentiste, comme commissaire-priseur, comme courtier, comme colporteur, mais c’était toujours le même résultat, la ruine, la misère, l’hôpital, ou la maison des pauvres. J’ai balayé les rues et campé dans les déserts avec les ours et les bêtes fauves. Un jour, la pensée me vint que je devais revenir dans mon pays. « George est là, me disais-je, et si je puis gagner de quoi payer mon passage à travers l’Atlantique, tout ira bien. George me viendra en aide. Je ne suis pas seul au monde. Un homme ne peut laisser mourir de faim celui qui est de la même chair et du même sang que lui, il ne le peut pas. » Le sang est plus épais que l’eau, vous le savez, George ; aussi je suis revenu. J’ai gagné l’argent qui m’était nécessaire, ne me demandez pas comment. Je n’ai pas besoin de vous dire ce qu’il m’en a coûté pour amasser une douzaine de livres. Quand un homme est tombé aussi bas que moi, chaque shilling qu’il gagne lui coûte une goutte du sang de son cœur. Il n’y a pas une livre pour laquelle il n’escompte une partie de sa vie. J’ai réuni l’argent nécessaire pour payer mon passage sur un navire d’émigrants, et me voici ici prêt à tout. Je travaillerai comme un nègre. Je ferai le travail de votre clerc pour le quart de ce que vous le payez. Je balaierai votre bureau et ferai vos commissions. Pour