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LA FEMME DU DOCTEUR

mettre en doute la pureté de mon amour, l’honnêteté de mes intentions ? Je ne vous demande pas de vous lier par un contrat inégal. Donnez-moi votre vie et je vous consacrerai la mienne en retour… sans en excepter un jour… une heure. Tout ce que l’épouse la plus exigeante peut réclamer de son mari, vous le recevrez de moi. Tout ce que le mari le plus dévoué peut être pour sa femme, je vous jure de l’être pour vous. La seule question est de savoir si vous m’aimez. Vous n’avez qu’à choisir entre moi et l’homme qui est là-bas.

— Oh ! Roland… Roland !… moi qui vous aimais tant !… comment avez-vous pu penser que… Oh ! vous devez me mépriser… vous devez me mépriser beaucoup et me croire bien pervertie pour me dire…

Elle n’en put dire davantage, mais elle resta penchée sur le pont, sanglotant sur ses illusions perdues.

Gwendoline avait donc raison au fond, — pensait Isabel, — et du côté de Roland il n’y avait eu nul platonisme, nul culte poétique, rien que le désir vulgaire et journalier d’enlever la femme d’un autre homme. Du premier jusqu’au dernier moment, elle n’avait pas été comprise ; elle avait été la dupe de ses propres fantaisies, de ses propres rêves. Les cruelles paroles de Gwendoline n’étaient que de cruelles vérités. Ce n’étaient ni le Dante, ni le Tasse qui avaient erré à ses côtés ; ce n’était rien qu’un jeune propriétaire campagnard et dissolu, habitué à enlever les femmes mariées et à se glorifier de son iniquité. Dans l’esprit insensé de cette enfant, il n’y avait pas de milieu pour Roland entre ces deux extrêmes. S’il n’était pas un demi-dieu, il était un misérable. S’il n’était pas une créature exaltée, pleine d’aspirations poéti-