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LA FEMME DU DOCTEUR

déchirures de ses gants, ou bien à calculer combien de mètres de rubans et à quel prix par mètre il fallait s’arrêter, pour confectionner certain chapeau qui avait captivé son imagination. Ou bien elle pensait que ce jeune homme d’aspect convenable qui se tenait dans la galerie pourrait bien être un jeune noble, attendu quelque part aux environs de l’église par sa voiture et son groom, et qui pourrait peut-être devenir amoureux d’elle avant la fin du sermon. Elle n’avait pas été élevée religieusement, et l’assiduité à l’église de Graybridge n’avait pas laissé de l’ennuyer. Tout au moins cela lui avait produit l’effet d’une berceuse tranquille qui la laissait libre de se livrer aux écarts les plus déréglés de son imagination vagabonde. Mais maintenant, pour la première fois, elle était touchée et amollie : son faible cœur sentimental fut saisi au bond. Elle était prête à faire quoi que ce fût au monde, excepté une vulgaire ménagère, menant une vie incolore et inutile à Graybrigde. Il lui fallait quelque autel, quelque divinité qui voulût bien accepter son culte ; quelque temple dominant de bien haut la terre sordide et prosaïque, dans lequel elle pût s’agenouiller pour toujours. À défaut de Roland, la foi chrétienne. Elle eût commencé son noviciat cette nuit même, si elle se fût trouvée en pays catholique et que les portes d’un couvent se fussent ouvertes pour elle. Dans l’état des choses, elle ne pouvait que rester tranquillement assise dans son banc et écouter. Elle aurait aimé à entrer dans la sacristie vers la fin du service et à se jeter aux pieds du vicaire pour faire une confession de tous ses péchés ; mais le courage lui manquait. Le prêtre pourrait se méprendre comme Roland s’était mépris. Il pourrait ne voir en elle rien qu’une pécheresse,