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LA FEMME DU DOCTEUR

le soir de sa dernière entrevue avec Isabel. Chaque jour il donnait de nouveaux ordres concernant son départ. Il faisait atteler pour telle heure, afin de prendre tel train ; mais à l’heure dite, le palefrenier était renvoyé à l’écurie, et Roland restait encore un jour à Mordred.

Il ne pouvait pas partir. Vainement, vainement il luttait avec lui-même ; vainement il méprisait et haïssait son indigne faiblesse : il ne pouvait pas partir. Elle se repentirait ; elle écrirait pour lui demander un autre rendez-vous sous le vieux chêne dépouillé. Doué d’une imagination non moins ardente que la sienne, il se représentait l’entrevue ; il l’entendait presque lui dire en pleurant et en croisant ses mains fluettes sur son bras :

— Mon amour !… mon amour !… je ne puis vivre sans toi !… je ne le puis pas… je ne le puis pas…

Toutes sortes de fantaisies mondaines et vagues qu’il avait épuisées une à une, en compagnie des amis frivoles dont il avait été le favori et qu’il avait rejetées avec un geste dédaigneux, une fois satisfait ; toutes espèces de frivolités spiritualistes insensées lui revenaient et elles étaient de frêles pailles auxquelles son esprit se cramponnait avec un sentiment qui ressemblait à de la foi. Y avait-il donc quelque chose d’extraordinaire dans le sentiment qui l’attachait à Isabel ? Était-ce une force fatale ? Était-ce le magnétisme ? Fallait-il l’expliquer par celle-ci, celle-là, ou cette autre théorie nouvelle qui avait défrayé les conversations de l’hiver parisien ou du printemps à Londres ? Qu’était-ce ? Il trouvait cent réponses à cette question ; mais aucune ne le satisfaisait. Il savait seulement qu’il démentait la philosophie de toute sa vie et qu’il se rongeait le cœur pour la