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LA FEMME DU DOCTEUR.

rires pour lesquels d’autres hommes étaient prêts à risquer tant de choses. Pourquoi son cœur désirait-il la présence de cette femme ? En aucune façon elle n’était son égale pour l’intelligence ; elle n’était pas une compagne digne de lui même à ses meilleurs moments lorsqu’elle divaguait gentiment à propos de Shelley et de Byron. Dans toutes ses flâneries autour de la cascade de lord Thurston, il ne pouvait retrouver un mot, ou profond ou spirituel, qui fût tombé de ces lèvres puériles. Et cependant, cependant… elle était pour lui quelque chose qu’aucune autre femme n’avait été, ou, il le croyait fermement, qu’aucune femme ne pourrait jamais être. Ah ! un seul regard de ces yeux noirs, si timidement tendres, si poétiquement calmes ! Ah ! l’extase profonde qu’il y aurait eu à s’arrêter avec elle sur la rive d’un tranquille lac d’Italie ; le bonheur sans mélange à ouvrir les vastes royaumes de la science et de la poésie à cette âme juvénile !… Et puis, plus tard, lorsque, insensiblement, elle se serait élevée jusqu’au degré que le monde exigerait de celle qui serait sa femme, le sort, la chance, cette abstraction que la plupart des hommes désignent sous le nom de Providence, favorisant l’amour le plus sincère et le plus pur, il pourrait alors avouer la possession du trésor qu’il avait conquis ; il pourrait montrer aux yeux du monde insensible et sceptique un exemple magnifique et brillant d’une union parfaite.

C’était ainsi que s’égaraient les pensées de Roland pendant qu’il passait les longues et fatigantes journées dans sa maison solitaire. Il n’allait nulle part ; il ne recevait personne. Il donna à ses domestiques l’ordre de dire qu’il était parti ou occupé, à tous ceux qui viendraient à Mordred. Ses malles étaient faites depuis