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LA FEMME DU DOCTEUR.

dans son banc, en face de la galerie, mais séparée d’elle par la chaire et le pupitre. M. Colborne commença à lire la première leçon ; il se fit un silence solennel dans l’église. Roland fut pris d’un désir soudain d’être vu d’Isabel. Il voulait lire sur son visage l’effet de la reconnaissance. Ne pouvait-il pas apprendre la profondeur de son amour, la force de ses regrets, par cet unique regard ? Un rideau de serge verte pendait devant lui. Il en repoussa les plis ; les anneaux de cuivre firent un petit bruit sec et strident en glissant sur la tringle. Le bruit fut assez fort pour distraire la femme que Lansdell guettait avec tant d’attention. Elle leva la tête et le reconnut. Il la vit pâlir ; il vit ses légers vêtements de mousseline agités par un faible frisson ; l’instant d’après, elle fixait obstinément le livre posé sur ses genoux, à peu près comme la première fois qu’il l’avait rencontrée sous le chêne de Thurston.

Pendant tout le service Roland la dévora des yeux. Il ne fit pas le simulacre de se joindre aux dévotions de l’assemblée ; mais il ne troubla personne. Il demeura assis, d’un air sombre, contemplant le pâle visage qui était dans le banc, près de la chaire. Mille pensées belliqueuses, mille émotions poignantes lui déchiraient le cœur. Il l’aimait tant qu’il n’était pas généreux ; il ne savait même pas être juste et raisonnable. Il sied au roi Arthur, froid et impassible, de parler à la reine tombée, avec toute la tendresse apitoyée et la majesté du premier gentilhomme de la chrétienté. Ne possède-t-il pas la conscience suprême de sa propre rectitude, la connaissance que la terre et le ciel sont avec lui, pour le soutenir à son heure d’épreuve ? Il est facile à l’homme vertueux d’être magnanime ; mais