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LA FEMME DU DOCTEUR.

— Ma bien-aimée, — dit-il, — je suis très-exact, n’est-ce pas ? Je ne pensais pas que vous seriez ici la première. Vous ne pouvez vous figurer, Isabel, combien j’ai pensé à notre rendez-vous d’aujourd’hui ; combien j’y ai pensé sérieusement, solennellement même. Vous rappelez-vous la scène du jardin dans Roméo et Juliette, Izzie ? Quel joli marivaudage enfantin cette scène d’amour paraît être, et cependant quelle tragédie en est la conséquence immédiate ! En vous regardant aujourd’hui, Isabel, et en songeant à mes nuits sans sommeil, à mes journées inquiètes et fatigantes, à mes courses inutiles, à mes serments brisés, et à mes résolutions vaines, je regarde derrière moi et je me rappelle notre première rencontre au château de Warncliffe… cette première rencontre toute d’imprévu. Si j’étais parti dix minutes plus tôt, je ne vous aurais pas rencontrée, je ne vous aurais peut-être jamais vue. J’évoque cette journée et je la revois dans tous ses détails. Je levai les yeux avec tant d’indifférence quand ce pauvre Raymond vous présenta ; c’était presque une fatigue que de me lever pour vous saluer. Je vous trouvai fort jolie, je vis en vous un joli automate au visage pâle, avec, de magnifiques yeux noirs qui appartenaient de droit à une toile italienne, et non pas à une vulgaire petite personne de votre sorte. Puis, ayant si peu de chose à faire, étant un oisif aussi déclaré et heureux de trouver une excuse pour échapper à ma majestueuse cousine et à mon brave homme d’oncle, je m’avisai de me diriger vers le parc de Hurstonleigh et je vous rencontrai de nouveau sous l’ombre changeante des grands et vieux arbres. Qu’était-ce qui me poussait ? Pourquoi cette fantaisie ? Était-ce, comme je le croyais, une vaine cu-