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LA FEMME DU DOCTEUR

sophe, dans lequel je vois le réformateur le plus noble, le chef d’école le plus pur dont la voix se soit fait entendre ici-bas, a dit qu’on ne saurait servir deux maîtres à la fois. Vous ne pouvez pas continuer à vivre comme vous avez vécu ces trois derniers mois, Isabel. C’est impossible. Vous vous êtes trompée. Le monde vous dira que, ayant commis une erreur, vous devez en accepter les conséquences, et payer votre folie par une vie de dissimulation. Il y a des femmes assez courageuses… assez vertueuses, si vous voulez, pour en agir ainsi, pour supporter leur fardeau patiemment ; mais vous n’êtes pas de celles-là. Vous ne sauriez dissimuler. Votre âme s’est envolée vers moi comme un oiseau échappé de sa cage ; elle m’appartient dorénavant et à jamais, aussi sûrement que je vous aime… fatalement, sans motif, mystérieusement, mais pour toujours ; je connais la force de ma chaîne, car j’ai essayé de la rompre. Je me suis éloigné et j’ai éprouvé la durée de mon amour. Si aujourd’hui je vous demande d’accepter cet amour, c’est parce que je sais qu’il est sincère et pur… qu’il est d’un métal pur, Izzie, du véritable or virginal ! Je crois que le cœur de chaque homme en contient un mince filon ; mais ce n’est qu’une main féminine qui sache mettre au jour le précieux minerai. Je vous aime, Isabel, et je désire que vous mettiez fin à votre existence présente en quittant ces lieux pour toujours. J’ai écrit à un de mes agents de me trouver une petite villa aux portes de Naples. Il y a deux mois, Izzie, que j’ai fait ce voyage seul ; j’évoquais votre image dans les appartements déserts et je vous voyais errant çà et là dans votre robe blanche, sur la vaste terrasse de marbre, ayant à vos pieds la mer bleue, et les montagnes au-dessus de