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LA FEMME DU DOCTEUR.

dilatent quand elle parle de ses livres favoris et elle paraît toute surprise et effrayée quand on lui adresse la parole pendant qu’elle lit.

Le cabinet de M. Raymond était une charmante petite chambre dont les murailles, du plancher au plafond, disparaissaient sous les livres. Chez M. Raymond il y avait des livres partout, et le maître du logis lisait à des heures invraisemblables et gardait une bougie allumée à son chevet au milieu de la nuit, pendant que tous les autres citoyens de Conventford étaient plongés dans le sommeil. Il était garçon, et les enfants dont l’éducation était confiée à Mlle Sleaford étaient deux orphelines maladives, laissées par une nièce de M. Raymond, jeune femme infortunée, qui n’était venue au monde que pour souffrir, qui avait fait un mauvais mariage, avait perdu son mari, puis enfin était morte poitrinaire, ayant eu tous les malheurs imaginables avant d’avoir atteint sa vingt-cinquième année. Naturellement M. Raymond avait pris soin des enfants ; il aurait recueilli le premier petit ramoneur venu si on lui avait démontré que personne n’en pouvait prendre soin. Il enterra sa nièce dans un tranquille cimetière de campagne, emmena les orphelines à sa jolie maison de Conventford, leur acheta des robes noires, et engagea Mlle Sleaford comme gouvernante. Et tout cela avec moins d’ostentation que certains hommes en montrent en dépensant un billet de dix livres.

Il était de la nature de M. Raymond d’obliger son prochain. Autrefois, il était très-riche, au dire des gens de Conventford, à l’époque où il n’y avait ni grèves ni famines dans la vieille ville ; mais il avait perdu beaucoup d’argent en cherchant à réaliser des idées phi-