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LA FEMME DU DOCTEUR.

metière, qui était assez désert malgré ce jour de marché, et s’y promena pour tuer le temps, — et aussi pour ménager Brown Molly qui exigeait un repos considérable avant d’entreprendre le voyage de retour. Et il pensait à Isabel.

Il ne l’avait encore vue que deux fois, et déjà cependant son image s’était fixée par une empreinte fatale sur son esprit, — empreinte éternelle que rien ne pouvait effacer. La soirée de Camberwell avait été l’épisode romanesque de la vie calme de ce jeune homme ; Isabel était l’étrangère qui avait traversé son chemin. Il y avait à Graybridge de jolies et aimables filles, mais il les connaissait depuis l’enfance. Isabel lui apparut dans sa jeune beauté pâle, et tout le sentimentalisme latent de sa nature, sans lequel la jeunesse devient hideuse, s’enflamma et vécut sous la magique influence de sa présence. La mystique Vénus surgit, beauté parfaite, de la mer, et l’homme captivé s’incline devant le divin conquérant. Quel homme s’intéresserait à une Vénus qu’il aurait bercée, dont il aurait suivi le développement graduel, et dont la divine beauté aurait péri sous l’influence flétrissante de la familiarité ?

Le jour tombait quand George se rendit chez le pharmacien et reçut ses médicaments. Il ne s’arrêta pas pour dîner au Lion-Blanc, mais il paya ses dix-huit pence pour les soins donnés à Brown Molly, et prit à la hâte un verre d’ale avant de se mettre en selle. Il repassa par la solennelle avenue, aile pleine d’ombre de cette cathédrale grandiose élevée par les mains de ce grand architecte qu’on appelle la Nature. Il parcourut la longue avenue fantastique jusqu’à ce que les lumières scintillantes de Waverly brillassent