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LA FEMME DU DOCTEUR.

beauté. Je la vois entourée d’hommes et de femmes d’esprit faisant cercle autour d’elle pour l’entendre parler et la voir sourire. Je la vois ainsi, et alors, quand je pense à l’existence qui l’attend vraisemblablement, je me prends à la plaindre, comme si elle était une jeune et jolie vestale condamnée à être enterrée vivante. Parfois je pense que s’il venait à la maison et qu’il la vît… mais c’est là un rêve ridicule. Où est le faiseur de mariages qui n’a pas suscité les ennuis matrimoniaux et la souffrance. Assurément, Beatrix tint sa parole et rendit Benedick malheureux. Non : Mlle Sleaford épousera qui elle pourra et sera heureuse ou malheureuse, suivant le système des compensations. Quant à lui…

M. Raymond s’arrêta, et voyant les autres personnages de la bande gaiement occupées à cueillir des hyacinthes sous les arbres, il s’assit sur un tronc d’arbre renversé et sortit un livre de sa poche. C’était un livre qui avait été envoyé par la poste, car la couverture de papier y adhérait encore. C’était un joli petit volume relié en toile verte lustrée, non coupé, et dont le titre, en lettres dorées, disait qu’il contenait : Les Rêves d’un Étranger. Les Rêves d’un Étranger ne pouvaient être que de la poésie, et comme le nom du poëte ne figurait pas au-dessous du titre, il était assez naturel que M. Raymond n’ouvrît pas le livre immédiatement, mais tournât et retournât le volume dans ses mains avec une dédaigneuse expression sur le visage.

— Un Étranger ! — s’écria-t-il. — Au nom de toutes les affections modernes, pourquoi un jeune homme, riche de quinze mille livres sterling de rente et d’un des plus beaux domaines du Midland, s’appelle-t-il