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LA FEMME DU DOCTEUR

Isabel sourit aux orphelines qui la serraient dans leurs bras et les baisa au front. Mais elle pensait aux Rêves d’un Étranger et se demandait si Gwendoline était cette duchesse « aux cheveux d’or et aux cruels regards d’azur » que l’Étranger malmenait si fort. Mme Gilbert se disait qu’elle n’avait pas accordé la moitié de l’attention nécessaire à ces vers. Elle avait vu l’Étranger, elle lui avait parlé, — elle avait parlé à un vrai poète, à un poète vivant et respirant et à qui il ne manquait que de boiter et de porter des cols rabattus pour devenir un Byron.

Elle marchait lentement en suivant le sentier boisé, ayant à ses côtés les orphelines et formant avec elles un nouveau groupe de Laocoon moins le serpent, lorsqu’elle tressaillit à un bruissement des branches à quelques pas devant elle. Elle releva la tête avec un regard à demi effrayé et aperçut un homme à taille élevée debout au milieu du chemin.

Cet homme était Roland Lansdell, l’auteur des Rêves d’un Étranger.

— Je vous ai fait peur, madame Gilbert, — dit-il en se découvrant et en restant tête nue, tandis que l’ombre du feuillage se jouait et tremblait autour de lui. Je pensais trouver ici M. Raymond, car il m’a dit que vous dîniez sur l’herbe, et j’ai grand besoin de causer avec lui. Comme les gardiens me connaissent, j’ai pu entrer facilement.

Isabel essaya de dire quelque chose, mais les orphelines, qui n’étaient nullement interdites par la présence de l’étranger, informèrent Lansdell que leur oncle Charles dormait sous la tonnelle où l’on avait dîné, — là-bas. En disant ces mots, l’aînée des enfants indiqua vaguement un point quelconque de l’horizon.