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LA FEMME DU DOCTEUR.

seau, qu’il attrapât la fièvre, ou qu’il se suicidât plutôt que de vivre assez longtemps pour avoir les cheveux gris, porter des lunettes et des chaussures à double semelle.

Si court qu’eût été ce geste d’effroi, Roland l’avait vu et il s’était arrêté un instant.

— Non, nous ne vivons pas vieux dans notre famille. Nous avons été poitrinaires ; on nous a décapités dans le bon vieux temps, alors qu’une remarque confidentielle à un ami était très-souvent un crime de lèse-majesté ou de haute trahison ; nous sommes tombés sur les champs de bataille, — notamment à Flodden, à Fontenoy, et dans la guerre d’Espagne ; et l’un de nous reçut une balle dans les poumons, dans un duel en Irlande, sur la pelouse du « Phaynix[1] ». En un mot, j’imagine qu’une malédiction pèse sur nous depuis le moyen âge, probablement parce que l’un de nos ancêtres, un maudit prieur de Mordred, qui avait été soldat et renégat avant d’entrer dans le giron de l’Église, s’appropria quelques vases sacrés pour faire une dot à sa jolie fille, qui épousa sir Antony Lansdell, chevalier, et qui devint ainsi la souche de la famille. Nous sommes évidemment une race maudite, car bien peu d’entre nous ont vu leur quarantième année.

— Et vous, Roland, quel est le sort qui vous attend ? — demanda Gwendoline.

— Je sais à quoi m’en tenir là-dessus, — répondit Lansdell. — Je connais ma destinée.

— On vous a dit la bonne aventure ?

— Oui.

  1. Phœnix Park, à Dublin.