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LA FEMME DU DOCTEUR

homme qui avait l’air d’un groom, — debout de l’autre côté de la grille du jardin.

Elle était si rapprochée de la porte que c’eût été une affectation ridicule d’attendre que Mathilda fût accourue des communs du logis situés derrière la maison. La femme du médecin tourna la clef dans la serrure et ouvrit la porte ; mais l’homme n’avait qu’une lettre à remettre et il la tendit d’une main pendant qu’il touchait le bord de son chapeau de l’autre.

— De la part de M. Lansdell, madame, — dit-il.

L’instant d’après, il s’éloignait et la porte ouverte et le chemin blanc et poudreux semblèrent rouler devant les yeux d’Isabel.

Cet homme aurait pu se dispenser de dire que la lettre venait de son maître. Elle reconnut l’écriture ferme et hardie dont elle avait vu de nombreux échantillons sur les marges des livres que Lansdell lui avait prêtés et qu’il annotait au crayon. Et même si l’écriture lui avait été inconnue, elle eût aisément deviné d’où venait la lettre. Qui, autre que lui, pouvait envoyer une missive qui eût un si grand air, avec son épaisse enveloppe blanche et satinée (d’un aspect tout à fait officiel), avec le cachet armorié s’étalant largement sur le sceau ? Mais pourquoi lui écrivait-il ? Probablement pour remettre le dîner. Ses lèvres tremblaient légèrement, comme les lèvres d’un enfant qui va pleurer, pendant qu’elle décachetait la lettre.

Elle la parcourut rapidement deux fois et elle comprit soudain alors que Roland s’éloignait pour quelques années, — pour toujours, — pour elle c’était la même chose ; et que jamais, jamais, jamais, jamais, — ce mot se répétait et résonnait dans son cerveau