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LA FEMME DU DOCTEUR

celaines rares et précieuses et de tentures en tapisserie, plutôt que de la richesse luxuriante de la flore d’une forêt des bords de l’Amazone, c’était là une question qui importait peu à cette jeune rêveuse sentimentale. Si elle ne pouvait pas être Mme Dombey, sublime dans son indignation dédaigneuse et sa robe de velours ponceau, elle se contenterait d’être la naïve Dorothée, baignant ses pieds fatigués dans le ruisseau et laissant tomber ses cheveux dénoués sur ses épaules. Elle ne désirait que la vague poésie de la vie, la beauté mystique du roman introduite d’une façon quelconque dans son existence ; et elle était encore trop jeune pour comprendre cet élément latent de poésie qui existe dans les choses les plus vulgaires.

En même temps, un ennemi terrible l’avait atteinte, — l’ennui causé par la présence de son père dans le voisinage de Graybridge. Jamais, jusqu’aux jours qui suivirent son arrestation à Liverpool, la femme et les enfants de Sleaford n’avaient connu la nature de la profession au moyen de laquelle le maître du logis gagnait un revenu excessivement inégal, — ayant parfois de quoi suffire aux plus folles dépenses ; d’autres fois, à peine de quoi éloigner le loup de la porte. Ceci n’est pas un roman à sensation. J’écris ici ce que je sais être la vérité. Les enfants de Jack le Scribe étaient aussi innocemment ignorants de la profession de leur père que si cet homme eût été en réalité ce qu’il se disait lui-même : — un avocat consultant. Il partait chaque jour pour accomplir les devoirs de sa profession, et il rentrait le soir au foyer domestique ; c’était un père très-supportable, un mari fidèle et point brutal, un bon compagnon parmi l’espèce d’hommes qu’il fréquentait. Seulement il avait la mauvaise habitude