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LA FEMME DU DOCTEUR

cauchemar ; et parfois lorsque la porte restait entre-bâillée, elle entendait des gens causer dans la chambre voisine. Elle les entendait causer à voix basse des deux enterrements qui allaient avoir lieu, à un jour d’intervalle, — l’un à Graybridge, l’autre à Mordred. Elle les entendait raisonner sur les dispositions testamentaires de Lansdell ; elle entendait le nom, ce cher et romanesque nom, qui ne devait plus être qu’un vain bruit, passer de bouche en bouche ; et toutes ces souffrances n’étaient seulement qu’une partie du rêve affreux qui la poursuivait nuit et jour.

On se montrait très-bon pour elle. Graybridge même eut pitié de sa jeunesse et de sa désolation, bien que la moindre torture infligée à ce cœur affolé servît de thème aux conversations d’après dîner. Mais la calomnie accomplie n’est pas toujours mal disposée. Elle est un peu comme les gens d’esprit qui sacrifieraient leurs amis au plaisir de faire un mot, mais qui néanmoins n’oublieront pas leurs amis lorsque ceux-ci seront dans la peine. Les demoiselles Pawlkatt et un grand nombre de jeunes personnes marquantes de Graybridge, écrivirent à Isabel de jolis petits billets de condoléance, entrelardés de citations de l’Écriture et lui offrirent d’aller lui tenir compagnie. « Lui tenir compagnie, » c’est-à-dire endormir par leur bavardage stéréotypé et vulgaire les souffrances de cette pauvre enfant abasourdie à laquelle le monde entier semblait enveloppé d’un nuage impénétrable.

Le second jour après les funérailles du médecin, le lendemain de la cérémonie infiniment plus pompeuse qui avait eu lieu dans l’église de Mordred, Raymond vint rendre visite à Isabel. Pendant ces derniers jours, il l’avait vue fréquemment ; mais il avait reconnu