Page:Braddon - La Trace du serpent, 1864, tome II.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
262
LA TRACE

froid vous fait honneur, monsieur, surtout tout à l’heure, quoique vous n’ayez pu réprimer un tressaillement de surprise en entendant ce gentleman (il indique le docteur Tappenden d’un geste de la main) parler d’une certaine ville manufacturière appelée Slopperton, mais vous avez si rapidement repris votre calme, qu’il a fallu un observateur aussi attentif que moi pour apercevoir votre agitation momentanée. Vous paraissez ignorer complètement, monsieur, l’existence d’un certain fils d’un émigré aristocrate, qui enseignait, il y a trente ans, le français et les mathématiques dans cette même ville de Slopperton. Toutefois, une telle personne a existé, et vous l’avez connue, bien qu’elle se contentât de donner des leçons à un shilling le cachet, et qu’elle n’eût à cette époque ni camée ni bagues d’émeraude à rouler autour de ses doigts. »

Si le marquis fut jamais digne d’admiration dans tout le cours de sa carrière, ce fut réellement en ce moment. Il sourit d’un air gracieux et moqueur, et dit avec son ton le plus poli :

« Pardonnez-moi, il avait dix-huit pence par leçon… dix-huit pence, je vous l’assure ; et il était souvent invité à dîner dans les maisons où il enseignait. Les femmes raffolaient de lui ; elles sont si simples, les pauvres créatures ! Il aurait pu épouser une fille de manufacturier, avec une immense fortune, de grosses chevilles et des mains impossibles.