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LE SECRET

« Que signifie cela ? pensait-il. Elle a un air tout à fait différent de celui qu’avait la créature malheureuse et désespérée qui laissait tomber son masque pour un moment, et jetait sur moi des regards dignes de pitié, dans la petite chambre de Mount Stanning, il y a quatre heures ! Qu’est-il arrivé pour opérer ce changement ? »

Il lui ouvrit la portière, tout en faisant ces réflexions, et l’aida à s’installer à sa place, étalant ses fourrures sur ses genoux et arrangeant l’épais manteau de velours dans lequel sa gracieuse petite figure était presque cachée.

« Je vous remercie infiniment ; que de bontés vous avez pour moi ! dit-elle, tandis qu’il se livrait à ces petits soins. Vous devez me croire vraiment folle de voyager un pareil jour, sans même que mon cher mari le sache ; mais je suis venue à Londres pour acquitter une très-formidable note de modiste que je désirais ne pas montrer à mon mari, le meilleur des maris, car, indulgent comme il est, il aurait pu me taxer intérieurement d’extravagance, et je ne puis supporter de perdre son estime même dans sa pensée.

— Dieu nous préserve que cela arrive jamais, lady Audley, » dit Robert gravement.

Elle le regarda un instant avec un sourire qui avait quelque chose de défiant dans sa gaieté.

« Que Dieu nous en préserve, en vérité, murmura-t-elle. Je ne pense pas que cela arrive jamais. »

La cloche sonna pour la seconde fois, et le train s’ébranla comme elle parlait. La dernière chose que Robert vit d’elle fut ce gai sourire défiant.

« Quel que soit le dessein qui l’a amené à Londres, elle l’a accompli avec plein succès, pensa-t-il. M’aurait-elle joué par quelque tour d’adresse féminine ? Ne dois-je jamais approcher plus près de la vérité, et serais-je destiné à être tourmenté toute ma vie par de