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LE SECRET

pations de son monde habituel depuis la disparition de George Talboys. Les hommes de loi âgés se permettaient des observations facétieuses sur la figure pâle du jeune homme et sur ses manières fantasques. Ils suggéraient la probabilité de quelque attachement malheureux, de quelque mauvais traitement féminin, comme cause secrète du changement opéré en lui. Ils lui recommandaient de faire bonne chère, et l’invitaient à des soupers, auxquels « des femmes aimables, avec tous leurs vices, que Dieu les protège, » tombaient ivres à côté de gentlemen qui répandaient des pleurs en proposant les toasts, et devenaient hébétés et malheureux après avoir vidé leurs verres lorsqu’approchait la fin du repas. Robert n’avait aucun penchant pour les excès de vin et pour la confection du punch. L’idée unique de sa vie le maîtrisait. Il était l’esclave enchaîné d’une seule pensée sinistre, — d’un horrible pressentiment. Un sombre nuage était suspendu sur la maison de son oncle, et c’était sa main qui devait donner le signal au tonnerre et à la tempête qui devaient détruire cette noble existence.

« Si elle pouvait seulement accepter l’avertissement et s’enfuir, se disait-il quelquefois à lui-même ! Dieu sait que je lui ai offert une magnifique chance. Pourquoi n’en profite-t-elle pas, et ne prend-elle pas la fuite ! »

Il avait eu des nouvelles tantôt de sir Michaël, tantôt d’Alicia. La lettre de la jeune fille renfermait rarement plus que quelques lignes courtes, pour l’informer que son père se portait bien et que lady Audley était de très-belle humeur, occupée à se divertir selon ses manières frivoles habituelles et avec son habituel dédain pour tout le monde.

Une lettre de M. Marchmont, le chef d’institution de Southampton, informa Robert que le petit Georgey allait très-bien, mais qu’il était en retard pour son