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Page:Braddon - Le Secret de lady Audley t2.djvu/124

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LE SECRET

figure de milady, et la colora d’un reflet rougeâtre comme celui de la flamme ; puis il reprit son cours naturel, et cette physionomie si animée naguère devint tout à coup blanche comme la neige. Ses mains, qu’elle avait serrées convulsivement, se séparèrent et retombèrent inertes de chaque côté. Elle s’arrêta dans sa promenade rapide, — comme la femme de Loth dut s’arrêter après ce fatal regard jeté en arrière sur la cité engloutie, en sentant son pouls s’affaiblir, son sang se glacer dans ses veines, et tout son corps se transformer lentement en une statue inanimée.

Lady Audley resta environ cinq minutes dans cette attitude étrange, tenant la tête droite et les yeux fixés droit devant elle, — non pas sur ce qui l’entourait dans ce cabinet étroit, mais sur le danger et l’horreur qu’elle entrevoyait au loin.

Elle abandonna ensuite cette pose pénible avec presque autant de promptitude qu’elle en avait mis à la prendre. Elle sortit de cette demi-léthargie, marcha rapidement vers sa table de toilette, s’assit devant elle, écarta les flacons d’essence qui l’encombraient et regarda son image dans la psyché. Elle était très-pâle, mais sa figure enfantine ne portait pas d’autres traces visibles d’agitation. Les lignes de sa bouche, divinement moulées, étaient si belles, qu’un observateur attentif pouvait seul s’apercevoir qu’elles étaient un peu plus tendues que d’habitude. Elle s’en aperçut elle-même et essaya de chasser cette rigidité à l’aide d’un sourire ; mais ses lèvres rosées refusèrent de lui obéir et ne se desserrèrent pas. Elles n’étaient plus les esclaves de sa volonté et de son bon plaisir. Toute sa force de caractère se révélait par ce seul fait. Elle pouvait commander à ses yeux, mais non pas faire mouvoir les muscles de sa face. Elle se leva de sa table de toilette, prit un manteau en velours sombre et un chapeau dans un coin de sa garde-robe, et s’ha-