munément que se trouve le cœur. Il s’assit ensuite dans son fauteuil favori, bourra sa pipe et la fuma en regardant le feu aussi longtemps que dura le tabac. À voir ses beaux yeux gris, on devinait que la rêverie dans laquelle il était plongé n’avait rien d’ennuyeux. Ses pensées s’envolaient avec les nuages de fumée bleuâtre que vomissait sa pipe, et l’entraînaient dans un monde où la mort, la douleur et la honte n’existaient pas. Ce monde, créé par l’omnipotence de son amour, n’avait pour habitants que Clara Talboys et lui.
Quand le tabac turc fut entièrement consumé et les cendres secouées sur la dalle du foyer, le rêve s’enfuit vers cette région enchantée qu’habitent les visions de choses qui n’ont jamais été et qui ne seront jamais ; qui sont prises et gardées par quelque sombre enchanteur qui, de temps à autre, tourne les clés et ouvre les portes de son trésor pour la satisfaction passagère de l’humanité. Mais le rêve s’évanouit, et le pesant fardeau des tristes réalités vint tomber sur les épaules de Robert plus tenace que jamais.
« Que peut me vouloir ce Marks ? se demanda le jeune avocat. Il a peut-être peur de mourir avant de m’avoir fait sa confession, et il veut m’avouer ce que je sais déjà, l’histoire du crime de milady. Je savais qu’il connaissait le secret, j’en ai eu la certitude le premier soir où je l’ai vu. Oui, il le connaissait et en usait à son profit. »
Robert Audley ne voulait pas retourner dans le comté d’Essex. Comment revoir Clara Talboys, maintenant qu’il savait où était son frère ? Que de mensonges il faudrait inventer pour lui cacher la vérité ? Et pourtant serait-ce un service à lui rendre que de détruire ses espérances ? Et pourtant serait-ce avoir de la pitié pour elle que de lui raconter cette horrible histoire dont le récit jetterait un voile de deuil sur sa jeunesse et détruirait toutes les espérances qu’elle