quelques cuillerées. Il s’assoupit ensuite, et je veillai pour entretenir le feu jusqu’au point du jour. Il s’éveilla en ce moment et me déclara qu’il voulait partir sur-le-champ. Je l’engageai vainement à retarder son départ. Il insista, et, bien qu’il ne pût se tenir droit deux minutes de suite, il ne changea pas d’idée. Ses habits s’étaient séchés, et je l’en revêtis. Il poussait bien quelques gémissements de temps en temps, pendant que je lavais sa figure et que je relevais son bras dans un mouchoir noué autour de son cou, mais il voulait toujours partir ; et, quand il fit grand jour, il se trouva prêt.
— Quelle est la ville la plus rapprochée d’ici en se rendant à Londres ? me demanda-t-il.
— Brentwood, lui répondis-je.
— Hé bien, si vous voulez m’accompagner jusque-là et me mener chez un chirurgien qui arrangera mon bras, je vous donnerai un billet de cinq livres pour toutes vos peines. »
« J’y consentis volontiers, et je lui proposai d’emprunter un char à bancs, parce que la distance était de six milles. Il secoua la tête en me disant non. Il ne voulait personne dans le secret ; il préférait marcher, et il marcha effectivement. Chaque pas lui coûtait un effort, mais il tint bon jusqu’au bout ; je n’en ai jamais vu de sa force pour l’entêtement. Il s’arrêtait quelquefois pour reprendre haleine, mais il repartait ensuite, et nous finîmes par arriver à Brentwood. Là, je le conduisis chez un chirurgien qui raccommoda le bras cassé, et l’invita à attendre qu’il fût mieux avant de quitter la ville. Il répondit que cela n’était pas possible, qu’il était pressé de retourner à Londres ; et quand le chirurgien eut terminé l’opération et lui eut mis son bras en écharpe… »
Robert Audley tressaillit. Il venait de se rappeler que, dans son voyage à Liverpool, le commis auquel il s’était adressé pour demander des informations lui