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Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome I.djvu/84

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LES OISEAUX DE PROIE

rendu coupable dans sa longue carrière, il n’y en avait pas qu’il se reprochât plus amèrement qu’un mariage fou qu’il avait fait, étant déjà d’un certain âge. Ce ne fut que lorsqu’il eut abandonné la dernière chance que l’indulgence de la Fortune lui avait accordée, que le petit maître de la Régence, membre à une certaine époque du Beefsteack’s Club, l’homme qui, dès sa plus tendre jeunesse, avait joué au piquet dans les salons dorés de Georgina Devonshire, se trouva couché sur un lit de malade dans un des garnis borgnes de Londres, et plus près de la mort qu’il ne s’y était trouvé dans sa courte carrière militaire. Il eut ce jour-là une fière peur, une de ces peurs auxquelles les gens de sa trempe sont particulièrement sujets. Il sentit qu’il allait choir dans l’Océan de l’Éternité, et cela l’ennuya dans de très-grandes proportions. En plus de son chagrin et de son ennui, il ouvrit tout grand son cœur à la gratitude. Il se cramponna à une main délicate et bienfaisante qui le retenait de son mieux à la vie, et qui se trouvait là tout exprès, à côté de lui. C’était celle d’une douce jeune femme. Dieu seul sait avec quelle souplesse, quelle dextérité elle administrait les médicaments, les bouillons, et tout ce qui s’ensuit. Elle fut, pour ce libertin moribond, une esclave dévouée, infatigable. Il n’en fallait pas moins pour le sauver.

« Ne me remerciez pas, dit le docteur, quand son faible malade crut devoir pousser quelques bruyantes protestations de gratitude, sachant très-bien que ce serait la seule monnaie avec laquelle l’homme de l’art serait payé. Remerciez cette jeune femme, si votre cœur a besoin de s’épancher, car sans elle vous ne seriez plus en état d’exprimer votre gratitude. Et si jamais vous étiez repris d’une seconde inflammation des poumons,