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LES OISEAUX DE PROIE

« Chaque coin de la vieille demeure m’est devenu familier depuis, mais le premier jour, ce fut surtout son grand air antique et son confort extérieur qui me frappèrent.

« Je restai à dîner à la même table simple et bien garnie où ma Charlotte s’était assise bien des années auparavant sur une chaise haute, alors qu’elle connaissait à peine l’usage des fourchettes et des couteaux : l’oncle et la tante me le dirent avec cet agréable ton amical qui leur était ordinaire, pendant que la chère enfant, assise près de moi, toute rougissante, souriait avec des petites mines exquises. Les mots seraient impuissants à exprimer la joie que j’éprouvais à les entendre parler de l’enfance de ma bien-aimée : ils s’exprimaient si affectueusement sur sa douceur, ils s’étendaient avec un tel enthousiasme sur son humeur gracieuse, ses douces petites façons. Ses douces petites façons !… Ah ! quelle chose fatale pour le genre humain lorsqu’une femme est douée par la nature de ces douces petites façons-là ? De l’esclavage produit par un nez grec ou par des yeux castillans, il peut y avoir espoir de délivrance, mais à l’enchantement de cette indescriptible magie, il n’est aucun moyen de se soustraire.

« Je mis de côté mon Sheldon sans aucune espèce de remords et me laissai aller au sentiment du bonheur avec autant d’abandon que si j’eusse été le maître et seigneur de bon nombre de vallées et de montagnes avec dix mille livres de revenu à offrir a Charlotte en même temps que le cœur qui l’aimait si tendrement. Je n’ai aucune idée de ce que nous eûmes pour dîner ; je sais seulement qu’il était abondant et que l’hospitalité de mes nouveaux amis ne connaissait pas de bornes. Nous étions tout à fait à l’aise les uns avec les autres,